En 1974, au sein de ce qui est devenu le laboratoire Verres et céramique de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (ISCR), la perplexité s’affiche sur les visages de Marcel et Michel Poulain. Les frères, respectivement enseignant-chercheur et ingénieur de recherche, découvrent un matériel inconnu, amorphe aux rayons X, en place des cristaux qu’ils pensaient obtenir. « Ils voulaient synthétiser un fluorure complexe, ils ont finalement créé un nouveau verre », sourit Samuel Poulain, leur fils et neveu.
Ce verre fluoré, dont ils ne savaient pas à quoi il pourrait bien servir, aurait pu terminer à la poubelle. C’était sans compter sur la curiosité – et l’intuition ? – des inventeurs et de Jacques Lucas, alors directeur du laboratoire. Ils étudient ses propriétés physiques, imaginent ses applications. « Ils ont découvert que le verre fluoré était capable de transporter de nombreuses longueurs d’ondes différentes, de l’ultraviolet au moyen infrarouge », explique Samuel Poulain.
Si les chercheurs rennais sont convaincus de l’importance de leur découverte, les industriels hésitent à s’engager. Qu’à cela ne tienne : en 1977, Marcel Poulain publie un article sur le verre fluoré dans une revue scientifique et, dans la foulée, crée à Kerlann l’entreprise Le Verre Fluoré avec Gwénaël Mazé, à sa tête jusqu’en 2014.
Un leader incontesté
Les entrepreneurs ont eu le nez creux : en optimisant la transmission de la lumière, en facilitant la conduite des lasers grâce à l’ajout de terres rares, les fibres fluorées ont permis des avancées significatives dans de nombreux domaines : médecine, industrie, spatial, astronomie, recherche, défense, télécommunications…La société devient leader mondial de la fabrication de fibres en verre fluoré. Ses produits sont utilisés en 1986 dans le programme Aviris de la Nasa, en 2016 pour la mission spatiale européenne ExoMars. « Depuis le début des années 90, tous les projets d’observation des exoplanètes et des trous noirs, dans la voie spectrale entre 2 microns et 2,4 microns, font appel au Verre Fluoré », affirme Samuel Poulain, successeur de Gwénaël Mazé.
L’importance des bonnes associations
Sous la houlette du nouveau DG, l’entreprise accélère, passant de 3 salariés et 400 000€ de CA en 2014 à 26 collaborateurs et 3 M€ de chiffre d’affaires en 2024. Sa stratégie ? « Rester bas dans la chaîne de valeur en fabriquant nos fibres, et nouer les bons partenariats. » Avec Acclaro Medical aux USA, qui commercialise des lasers utilisés en dermatologie. Avec la Lannionnaise Oxxius pour développer des lasers destinés à la correction de la myopie et au séquençage ADN. Avec la SATT Conectus (67) pour exploiter une technologie permettant de détecter et caractériser les gaz polluants. Samuel Poulain prévoit une augmentation significative des commandes, notamment chinoises et américaines, qu’il espère pouvoir honorer s’il peut se développer sur le site de Kerlann.
La chirurgie endoscopique dans le viseur
Le secteur médical représente aujourd’hui 75 % de l’activité du Verre Fluoré, en situation de monopole pour les lasers utilisés en dermatologie. Plusieurs projets sont dans les tuyaux : traitement du glaucome et de la cataracte, détection du cancer de la peau en collaboration avec une startup lilloise, chirurgie endoscopique, « une prochaine étape », annonce le dirigeant. « Dans quelques années, notre technologie pourrait permettre de supprimer la muqueuse indésirable des femmes souffrant d’endométriose. Elle présente la bonne longueur d’ondes et les bonnes impulsions pour qu’on puisse intervenir précisément et sans dommages collatéraux à l’intérieur du corps. Je voudrais transformer cette intuition en preuve de concept, et trouver des personnes capables de porter cette technologie. »
Détecter, préalable à la dépollution
Marché prometteur, la lutte contre les pollutions est un autre cheval de bataille de Samuel Poulain : « nous avons participé au développement de Microcurved pour détecter les gaz polluants d’une manière inédite grâce à de nouvelles fibres optiques. Le Verre Fluoré est l’unique fabricant des micro-lentilles intégrées dans ces fibres à la performance inégalée. Ces nouveaux détecteurs permettent des contrôles de procédé innovants, performants, pour un coût moindre que celui des détecteurs existants » Et parce qu’il faut toujours balayer devant sa porte, l’entreprise bruzoise a entrepris de réduire son empreinte environnementale en basculant ses procédés à chaud vers des procédés à froid, en gagnant en productivité et en travaillant à concevoir des produits toujours moins énergivores.
- En savoir plus : Le Verre Fluoré
- Propos recueillis par Béatrice Ercksen