Souvenez-vous : le 30 avril 2022, lors de la cérémonie de diplôme, huit étudiants d’AgroParisTech, une prestigieuse école d’ingénieurs agronomes, avaient dénoncé dans un discours commun une « formation qui pousse globalement à participer aux ravages sociaux et écologiques en cours » avant de se livrer à une critique en règle de l’agro-industrie et du capitalisme. Les jeunes, une génération qui ne veut pas travailler ? Non, une génération qui veut travailler autrement et construire un monde plus responsable et vivable.
C’est ce que raconte le documentaire « Ruptures » réalisé en 2021 par Hélène Cloître et Arthur Gosset. Ils y font le portrait de jeunes en études supérieures qui, devant la promesse d’un emploi à responsabilités et du salaire qui va avec, font le choix d’un parcours en adéquation avec leurs convictions environnementales et sociétales. Le succès est au rendez-vous : plus de 200 000 visionnages dans 400 lieux différents (écoles, des collectivités, entreprises…). « Ruptures » a même reçu le prix coup de coeur du jury du Festival de Cannes en 2021.
Un projet à vocation écologique, mais pas seulement
Hélène Cloître, coréalisatrice, était elle-aussi en rupture. Diplômée d’une grande école de management, elle débute une carrière dans la grande distribution comme commerciale. « Au moment d’une promotion interne, j’ai décidé de démissionner car ce métier n’était pas en cohérence avec mes convictions. J’ai donc décidé de me lancer dans un projet à vocation écologique », explique la jeune femme de 27 ans. Elle créé alors, avec une associée, une conserverie anti-gaspillage au Mans qui récupère les invendus des supermarchés pour les transformer en confitures.
Dans la foulée du documentaire, Hélène et Arthur décident de créer leur association, Séisme, pour préserver les droits de diffusion et « rester maîtres » de leur projet. Mais les deux jeunes gens souhaitent aller plus loin. C’est pourquoi un deuxième documentaire, centré sur les salariés cette fois-ci, est en préparation : « Dans le premier documentaire, on se centrait sur les jeunes. Mais nous nous sommes vite rendu compte que la quête de sens au travail touche tout le monde. Cette question est omniprésente et elle concerne toutes les générations » explique-t-elle.
Formation aux infractions environnementales, low tech…
Dans ce prochain opus, les protagonistes ne quittent pas forcément leur emploi mais veulent changer les choses, à leur niveau. « Nous avons par exemple rencontré un gendarme. Choqué par les feux de forêts, il a mis en place une formation pour former ses collègues aux infractions environnementales ». Ou encore ce professeur de physique-chimie, enseignant à Saint-Malo, qui « propose à ses étudiants des expérimentations low tech* » Il y a aussi cette cheffe d’une grande entreprise française qui a décidé d’arrêter l’une des activités de son entreprise car trop polluante. « Cela représente 20 % de son activité. Elle y explique comment elle y est parvenue ». (*techniques ou technologies durables, simples, appropriables et résilientes).
Et pour faire bouger les lignes, pas besoin de quitter son entreprise, il est possible d’opérer des changements, bien qu’urgents pour certains : « Il y a des entreprises qui ne pourront plus exister dans 10 ans. Et pour d’autres continuer d’exister passera nécessairement par un changement des pratiques. Et ça s’organise. On ne fait pas ça d’un claquement de doigts. Il faut, dans les entreprises, des gens capables de prendre ces problèmes à bras le corps, de prendre des risques » continue Hélène.
Un forum des métiers impactant à Rennes
Dans le sillage de leurs documentaires, Hélène et Arthur souhaitaient aussi agir de manière plus concrète, plus globale. Ils ont donc décidé d’organiser un forum des métiers, Seisme Grand Ouest, qui aura lieu aux Halles Martenot de Rennes les 11 et 12 octobre 2023. Objectif ? Faire découvrir les structures vertueuses du Grand Ouest. « Pour changer les choses, les gens s’imaginent qu’il faut monter sa boîte, aller à Paris pour un poste de responsable RSE dans une grande entreprise ou intégrer des entreprises très connues comme Greenpeace mais qui n’embauchent pas forcément », explique Hélène Cloître. « Alors qu’il y a plein de structures très engagées sur le plan écologique et social sur le territoire », sourit-elle. « Depuis 6 mois, nous recherchons, listons et référençons les structures vertueuses qui cherchent à donner de la visibilité à leur(s) action(s) sur le territoire ».
Au programme du forum : des tables rondes, des ateliers de sensibilisation, et plus d’une dizaine de parcours thématiques par secteur : numérique, gestion des déchets, qualité de l’air et de l’eau, alimentation, éducation etc.…
Un soutien des structures locales
De nombreuses entreprises locales ont répondu à l’appel. Et pour cause : « Rennes est un territoire très engagé. Nous sommes très soutenus par l’écosystème local. Nous avons noué beaucoup d’amitiés et de relations avec des gens très impliqués ici », poursuit la jeune femme. L’association a notamment noué des partenariats avec des structures référentes du territoire : l’Université de Rennes, le 4Bis, Rennes Métropole mais aussi la Région et des écoles comme l’institut agro de Rennes, etc.
Hélène et Arthur ont choisi d’installer leur association à Rennes pour plusieurs raisons. « Déjà, c’était l’occasion de me rapprocher de ma famille, qui est bretonne » explique Hélène. « Mais c’est surtout l’engagement écologique et associatif de la ville de Rennes et Rennes Métropole qui nous a convaincu : il y a un terreau fertile. Enfin, nous étions venus quelques jours à Rennes et nous avons adoré son côté ‘’ville à taille humaine’’, l’ambiance qui y règne, la proximité avec la nature, les nombreuses voies cyclables… »
« Une question de choix »
Près de 5 000 visiteurs sont attendus au Forum, pour découvrir les structures qui s’engagent sur le territoire et peut-être y trouver un emploi à impact. « Déjà 1500 étudiants rennais ont inscrit ce rendez-vous à leurs emplois du temps à la rentrée ! » se félicite Hélène.
Le parrain de l’événement est Timothée Parrique, économiste et auteur d’une thèse sur la décroissance et du livre Ralentir ou périr – L’économie de la décroissance (éd. du Seuil). « Le monde de demain, c’est un monde dans lequel nous serons plus sobres » rappelle Hélène. Sobre mais pas triste pour autant : « Nous pouvons être heureux en ayant moins de choses et en étant conscients et acteurs de notre consommation ». Et de rassurer : « Consommer raisonnablement ne veut pas dire se priver mais vivre les choses différemment. On peut être voyager en découvrant les Côtes d’Armor à vélo plutôt que de partir à l’autre bout du monde, c’est une question de choix », conclut la jeune femme.
Et le choix de l’engagement, c’est maintenant. Parce qu’Hélène Cloître, Arthur Gosset et derrière eux toute une génération, eux, n’ont pas de temps à perdre.
- En savoir plus sur www.seisme.org
- Propos recueillis par Adélaïde Haslé. Photo de Une : extrait du documentaire « Ruptures »
