Hellowork-David-Beaurepaire

« Nous sommes loin d’un effondrement des recrutements »

Entretien avec David Beaurepaire, directeur délégué de Hellowork, groupe leader de l'emploi et de la formation

Les prévisions liées au marché du travail sont tantôt rassurantes tantôt alarmistes. Mais qu’en est-il vraiment dans le Grand Ouest ? David Beaurepaire, Directeur Délégué de Hellowork, acteur majeur du recrutement de l’emploi et de la formation sur Internet et éditeur de RegionsJob, fait le point avec Destination Rennes.

Les entreprises du Grand Ouest continuent-elles de recruter ? Et si oui, dans quels secteurs ?

Pour un certain nombre d’entreprises, l’activité est revenue ou quasiment revenue à son niveau d’avant Covid-19. Les entreprises continuent de recruter avec une légère baisse des CDI, au profit des CDD et contrats intérimaires. Nous sommes donc loin de l’effondrement des recrutements que l’on a pu voir au cours du deuxième trimestre.

Il est probable que nous soyons dans une phase de rattrapage des recrutements stoppés pendant la phase de confinement. Il y a également un effet bénéfique de l’accélération de la transformation digitale, qui engendre des besoins sur les fonctions réseaux, développement et liés aux infrastructures techniques.

Quels sont les secteurs les plus impactés et ceux qui tirent leur épingle du jeu ?

Tout ne s’est pas arrêté, mais certains secteurs restent effectivement très fortement impactés comme l’aérien ou l’aéronautique. L’industrie automobile a du mal à repartir, mais les usines PSA viennent d’annoncer le recrutement de 1800 intérimaires. Elles ont besoin de renforts face à une demande redevenue extrêmement forte : 500 intérimaires à Rennes, 1300 à Sochaux…  Le secteur informatique et les services aux entreprises sont également repartis.

Selon les secteurs, les tendances de recrutement sont très disparates mais nous sommes loin de l’effondrement du marché du travail annoncé. Les entreprises recrutent et des postes sont à pourvoir. Les fonctions comptabilité, gestion et finance sont très recherchées. La bancassurance continue de recruter avec des postes moins orientés sur la banque de réseau et le conseil clientèle mais plutôt sur des postes liés aux usages digitaux et sur les produits financiers élaborés. Malgré une baisse des volumes de recrutement, l’industrie agroalimentaire reste un fort pourvoyeur d’emplois et le 3ème recruteur dans la région. Le BTP, 4ème secteur qui recrute dans la région, recherche notamment des profils qualifiés tels que chefs de chantier et conducteurs de travaux avec le redémarrage des chantiers. L’interrogation pesait sur le secteur de l’immobilier, qui est finalement reparti très fort. L’hôtellerie-restauration après une année très singulière et une réouverture tardive, a fait une très bonne saison en Bretagne.

Certains secteurs se sont-ils « révélés » depuis le confinement ?

Certains besoins se sont renforcés sur des secteurs comme la cybersécurité, devenu un enjeu essentiel. Si les volumes de recrutement restent faibles, il s’agit d’emplois extrêmement qualifiés dont les besoins vont s’accroître.

Le secteur santé-social, qui a été extrêmement sollicité, continue à avoir de forts besoins. En transport et logistique, le fret s’est fortement développé. Le secteur de la logistique continue ainsi sa transformation alors que transport de voyageurs lui, continue d’être impacté.

Globalement, la façade atlantique s’en sort bien : la Bretagne et les Pays de la Loire sont les régions qui s’en sortent le mieux en termes d’emplois et de volumes de recrutement à la fin août avec l’Auvergne-Rhône-Alpes.

Sur ce sujet, il est intéressant d’observer l’évolution de la consommation des ménages. Cette année, le tourisme a été très « franco-français ». La consommation en biens alimentaires et dans le bricolage progresse alors que les ventes baissent dans le textile. Les différents secteurs de la consommation sont donc impactés à des degrés différents. L’épargne des Français est à son plus haut niveau. Les ventes automobiles ont repris, même si elles bénéficient de subventions. Les Français s’équipent à nouveau d’ordinateurs portables et pour travailler mieux à la maison…

L’Insee anticipe la destruction de 900.000 postes sur l’ensemble de l’année. Que signifient réellement ces chiffres ?

C’est un chiffre à manier avec précaution. Il y a toujours eu des destructions d’emplois comme il y a des créations d’emplois. Pendant la phase de confinement, l’intérim a été très lourdement impacté avec une perte nette de 450 000 équivalents temps plein intérimaire dès le début du confinement sur 800 000. Depuis, l’intérim a de nouveau créé 150 000 ETP : il reste encore un déficit de 300 000 emplois.

Les 900.000 destructions d’emplois annoncées par l’Insee ne concernent donc pas seulement des CDI puisqu’elles comprennent ces 450 000 emplois intérimaires. En revanche, il y aura des destructions d’emploi, probablement au 4ème trimestre de l’année 2020 ou au premier trimestre de l’année prochaine. Notamment des plans sociaux d’entreprises, qui étaient déjà en difficulté et pour lesquelles la crise a agi comme un « révélateur ».

Faut-il craindre un effet « boomerang » ?

Pour le moment, il est très compliqué de faire des prévisions. Les mesures prises à l’échelle nationale et européenne ont joué leur rôle d’amortisseur social – avec le chômage partiel – et de relance. Si la situation sanitaire venait à se dégrader, de fait, la confiance des entreprises serait atteinte. Si nous restons sur une situation contenue et maîtrisée, comme actuellement, sans « reconfinement », nous continuerons à « faire avec » sans d’autres choix.

Du côté candidat, est-ce vraiment le bon moment pour changer d’emploi ?

On pourrait penser que ce n’est guère le moment de changer. Mais parfois, l’envie se fait trop forte ! Et les raisons sont multiples. Certains Français n’ont pas très bien vécu leur confinement, avec des enfants, dans des espaces restreints… D’autres n’ont pas bien vécu la relation à distance avec leur employeur. Le confinement et la généralisation du télétravail a changé pas mal de choses.

Dans beaucoup d’entreprises et sur certains types de métiers, travailler à distance est devenu totalement envisageable. Certaines sont même passées au recrutement en full remote. Le patron de Facebook Mark Zuckerberg vient par exemple de proposer à tous les nouveaux salariés d’être, dans un premier temps, à 200 km minimum d’un bureau de Facebook et dans un second temps, ils pourront être basés n’importe où dans le monde.

Aujourd’hui, le risque de changer d’emploi en période de Covid-19 est donc avant tout professionnel plus que géographique. Beaucoup de freins ont été levés sur le travail à distance. Concernant l’onboarding à distance, c’est autre chose mais cela est possible, comme l’expérience nous l’a montré pendant le confinement.

La crise sanitaire pousse-t-elle une partie des Parisiens à s’installer en province ?

La part des Franciliens qui regardent les postes en dehors de leur région a augmenté : de 55% l’année dernière, ils sont passés à 65% aujourd’hui. C’est d’ailleurs la seule région où une majorité des candidats regardent en dehors de leur propre région. Les envies d’ailleurs ont augmenté. Cependant, il subsiste un écart entre « je regarde », « je postule » et « je déménage ». Tous les candidats ne vont pas jusqu’au bout de leurs envies. D’autres paramètres sont également à prendre en ligne de compte : prix de l’immobilier, écoles, formation, travail du conjoint… Les deux éléments clefs d’une mobilité restent malgré tout l’emploi et l’immobilier.

Et chez les recruteurs aussi subsistent des freins car certains vont privilégier des candidats habitant à 10 ou 20 km plutôt que prendre des risques à recruter un candidat habitant en Ile-de-France. Dans tous les cas, il y a des emplois sur le territoire, c’est certain, et des possibilités de formation pour celui ou celle qui suit son conjoint.

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